À l’approche des trois mois de guerre entre Israël et le Hamas, les familles des 129 otages toujours détenus dans la bande de Gaza gardent l’espoir d’une prochaine libération. Michael Levy compte les jours depuis que son petit frère Or a été enlevé au festival Supernova. Et se mobilise. Reportage.
“Il a appris tout seul à programmer. Il est devenu ingénieur informatique et a fondé une start-up à succès qu’il a ensuite revendue. Il est toujours heureux, souriant. Vous voyez, ce n’est pas seulement une bonne photo”, insiste Michael en montrant son tee-shirt à l’effigie de son cadet.
Raconter son frère. Le quadragénaire est rompu à l’exercice. À son corps défendant. La voix calme, le ton posé, Michael parle d’Or et de son épouse Eynav. Le couple se connaissait depuis quatorze ans. Mariés depuis cinq ans, ils étaient inséparables.
“Le matin du 7 octobre, ils ont laissé Almog, leur fils de deux ans, à notre mère et se sont rendus au festival Supernova. Ils sont arrivés à 6 h 20, environ dix minutes avant que l’enfer ne commence. Quelques minutes plus tard, Or a envoyé un nouveau texto à notre mère pour lui dire qu’ils se cachaient dans un abri près de la route. À l’intérieur, ils l’ont appelée. Il était 7 h 39. Il était complètement terrifié. Et quand ma mère lui a demandé “Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que tout va bien ?”, il a répondu “Maman, tu ne veux pas savoir ce qui se passe”.
Dix minutes après cet appel, le Hamas prenait d’assaut le refuge antimissile. “Je le sais maintenant parce que j’ai vu d’horribles vidéos. Ils ont jeté des grenades à l’intérieur, ils ont tiré. Il y avait 17 autres personnes dans un espace de la taille de cette pièce”, raconte-t-il en regardant autour de lui. Pour comprendre ce qui s’est passé, Michael parle aux survivants. Il arpente les hôpitaux. Parle à tous ceux qui peuvent l’aider à recoller les pièces du puzzle.
Commence alors une attente interminable. Des nuits presque sans sommeil. Jusqu’à cette annonce de l’armée israélienne huit jours plus tard : Or fait partie des 240 otages retenus dans la bande de Gaza. Eynav, elle, a été retrouvée à l’intérieur de l’abri. Sans vie.
“Il ne cesse de les appeler”
Les familles sont dévastées. Mais il faut rester fort pour Almog. Un défi quotidien pour Michael et ses parents. “Comment dire à un petit garçon de deux ans que sa mère ne reviendra pas ? Que son père a disparu et que nous le cherchons ? Nous avons demandé à des psychologues. Ils nous ont conseillé de tout lui dire… Il ne cesse de les appeler.”
Michael prend sur lui. Le colosse refuse de se laisser aller. De craquer. “J’essaie de faire des choses pour rester normal. Mais c’est un combat. Je me laisserai aller quand tout sera rentré dans l’ordre. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le moment.”
Le 24 novembre, lors du premier échange d’otages contre des prisonniers palestiniens, Michael Levy était heureux. Non pas parce qu’il pensait qu’Or ferait partie de la liste mais parce que d’autres personnes de sa nouvelle “famille” allaient être réunies. “Je savais qu’il ne serait pas libéré dans le cadre de cet accord spécifique. Je n’ai pas été déçu, au contraire. Je connais personnellement certaines des familles, elles sont devenues ma famille. J’étais heureux de voir leurs proches libérés.”
Si cet accord conclu entre le Hamas et le gouvernement israélien sous l’égide du Qatar a permis de libérer 121 otages au total, 129 restent encore prisonniers dans la bande de Gaza. “Ils parlent pratiquement tous les jours depuis 88 jours. Il y a une délégation ici. Une délégation là. Il a dit ça, ils ont dit ‘non’… Peu importe. J’essaie de ne pas m’en préoccuper tant que ce n’est pas réel. Lors du premier accord, chaque jour apportait une nouvelle surprise. Quelqu’un qui devait sortir n’était finalement pas libéré. J’essaie donc de garder mon énergie et de me concentrer sur l’objectif qui est de le ramener, et de ne pas m’occuper de choses que je ne peux pas contrôler.” Une forme de sagesse confortée par les faits. Les nouvelles discussions qui avaient débuté en Égypte le 29 décembre ont été réduites à néant mardi 2 janvier par l’annonce de l’assassinat du numéro deux du Hamas, Saleh al-Arouri, en périphérie de Beyrouth au Liban.
Benjamin Netanyahu au défi d’apporter “des résultats”
La mort de trois otages tués par un soldat israélien alors qu’ils arboraient un drapeau blanc dans la bande de Gaza a également mis le moral des familles à rude épreuve. Certains ont laissé éclater leur colère. Le gouvernement de Benjamin Netanyahu fait-il tout pour ramener les otages à la maison ? Pour Michael, les faits parlent d’eux-mêmes. “Je suis un grand fan des résultats et s’ils ne sont pas là, la réponse est ‘non’, dit-il sur un ton ne laissant rien deviner de ses émotions. J’ai pris l’avion pour quatre délégations différentes au cours du dernier mois et demi, j’ai parlé aux politiciens, aux diplomates, aux médias et à tous ceux qui étaient prêts à m’écouter afin de les inciter à faire pression sur tous les gouvernements, israélien ou étrangers, les Qataris, les Égyptiens, et évidemment sur le Hamas. J’essaie de m’assurer que tout est fait.”
Pour garder espoir, en donner un peu aussi, Michael laisse des messages à son frère. À la radio. “Certains otages qui sont revenus écoutaient les nouvelles. Je veux juste qu’Or sache que nous sommes forts et que nous sommes là pour Almog. Nous le soutiendrons et nous l’aimerons. Je veux qu’il sache que je ferai tout pour le ramener. Même si je dois mettre le monde à l’envers. Je le ferai. Il reviendra.”
AVEC FRANCE 24